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Insurance Linked Securities : panorama et enjeux

Rédigé par CCR Re | 30 mars 2021 07:19:58

Le premier numéro d’ILS Show, proposé par CCR Re en continuité de la newsletter trimestrielle ILS NEWS, a été l’occasion de démontrer les opportunités offertes par les ILS et le développement de la place de Paris.

 

Pour en parler, nous avons reçu un panel de spécialistes reconnus : Olivier Desmettre, chef de Brigade auprès de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, Benoit Liot, directeur de la Rétrocession chez Scor, Edouard Chapellier et Patrice Doat, partners chez Linklaters, Stephan Ruoff, Directeur ILS chez Schroders et Quentin Perrot, Senior Vice President chez Willis Securities.

 

Retour sur les temps forts de ces échanges et sur ces ILS, qui se sont établis dans le monde de l’investissement comme un instrument de mieux en mieux connu et compris !

 

Un ILS… c’est quoi ?

Quentin Perrot : l’ILS (« Insurance Linked Securities ») est un instrument financier associé à du risque d’assurance. Concrètement, il s’agit d’investir dans la performance d’un contrat de réassurance – notamment un contrat de réassurance dans du risque de catastrophe naturelle (tremblement de terre, tempête, ouragan…).


Les ILS sont apparus il y a à peu près 25 ans, suite à deux catastrophes naturelles aux Etats-Unis : un tremblement de terre à Northridge en 1994 et l’ouragan Andrew en Floride qui ont été à l’origine de grandes pertes. Le marché de la réassurance n’étant pas en mesure de se recapitaliser de façon efficace suite à ces pertes, des compagnies d’assurance ont pensé à transférer le risque au marché financier pour se protéger lors de potentiels évènements futurs.


Aujourd’hui, après une forte croissance dans les années 2010, le marché des ILS s’élève à environ 90 milliards de dollars.

 

 

 

Les deux principales formes d’investissement dans les ILS sont le Cat Bond et le sidecar. Dans tous les cas, le principe est toujours le même : il s’agit de transformer du risque de réassurance en investissement financier. Dans cette configuration, c’est l’investisseur qui assume le risque à la place de la compagnie d’assurance en échange d‘une prime de risque.

 

Normalement, un investisseur financier n’a pas le droit de souscrire de la réassurance sans une licence spéciale. C’est là où les FCT et la place de Paris entrent en jeu, en permettant d’utiliser un véhicule qui va transformer ce risque de réassurance en un investissement financier.


Les ILS concernent principalement les risques de catastrophe naturelle. D’autres types de risques peuvent-ils être titrisés ?

Quentin Perrot : oui, tout à fait. Il y a quelques années, Generali a fait un Cat Bond exposé aux risques de « responsabilité civile automobile », pour se protéger en cas de forte hausse des sinistres automobiles. Quelques Cat Bonds concernent les risques terroristes. La FIFA, de son côté, avait fait un Cat Bond pour se protéger de l’annulation éventuelle de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne.

 

 

Etant donné qu’un investisseur cherchera toujours plutôt des risques à développement court, qu’en est-il des RC ou des risques financiers plus ou moins longs ? Est-il envisageable de les titriser ?


Quentin Perrot : Tout dépend de la durée du développement. Si l’on parle du risque lié à une catastrophe nucléaire par exemple, il faut environ 20 ans avant de pouvoir quantifier la perte, donc ce n’est pas très facile à transférer sous format indemnitaire. Les investisseurs auront une préférence pour les investissements qui ne sont pas corrélés au reste des marchés financiers. La catastrophe naturelle reste le cas le plus simple, qui se prête le plus naturellement à ce genre d’exercice.


Quel est le fonctionnement d’un Fonds Commun de Titrisation (FCT) ?

Patrice Doat : le FCT est un véhicule très ancien en droit français puisqu’il a été introduit en 1988. IL s’agit d’un régime légal bien rodé déjà, prévu par le Code monétaire et financier, un peu par le Code général des impôts et bien sûr par le Code des assurances.


A l’origine, le FCT était uniquement destiné à titriser des créances bancaires. A ce titre, il a tout de suite bénéficié d’une exception au monopole bancaire et bénéficie aujourd’hui d’une exception au monopole des assurances. Il peut donc tout à fait servir d’émetteur-transformateur. Après un certain nombre de réformes, son périmètre s’est considérablement élargi : aujourd’hui, les FCT peuvent octroyer des prêts, donner des garanties et des suretés, recevoir ou acheter des risques – principalement des risques de crédit avec les produits dérivés et des risques assurantiels pour les FCT qui supportent des risques d’assurance.


Le FCT est très souvent utilisé pour titriser un grand nombre de classes d’actifs différents : essentiellement des créances financières pour les banques (prêts à la consommation, prêts hypothécaires, prêts automobiles…), des créances de loyer ou de leasing ou encore des créances commerciales.


Concernant le FCT supportant des risques d’assurance, le régime existe depuis 2008 mais a été utilisé pour la première fois par CCR Re en 2019.


Le fonctionnement d’un FCT est assez simple. Il fait intervenir plusieurs types d’acteurs :

  • Une société de gestion (une société de portefeuilles agréée par l’AMF) qui prend l’initiative de créer un FCT. Elle élabore un règlement qui va détailler les caractéristiques du fonds ainsi que son mode de fonctionnement, décrire ses actifs et son passif, puis énoncer toutes les règles (règles d’allocation des flux au sein des FCT, règles comptables et règles règlementaires) applicables au fonds. La société représente légalement le fonds – c’est elle qui conclut les contrats – mais elle assure également toute la gestion administrative, financière et comptable du fonds. Elle est l’interlocutrice des investisseurs pour prendre les décisions concernant la vie du fonds.
  • Un dépositaire (un établissement de crédit agréé) qui assure la conservation des actifs du fonds. Le dépositaire doit également contrôler a posteriori la régularité des décisions de la société de gestion et assurer le suivi des flux.
  • Un agent de contrôle, sorte de garde-fou, qui effectue des vérifications sur la réalité des risques et s’assure que les informations communiquées par la cédante soient bien conformes.
  • Le cédant, qui transfère les risques d’assurance.
  • Les investisseurs, de l’autre côté, qui investissent dans ces risques.

 

A l’actif d’un FCT, l’on trouve un transfert de risque vers le cédant qui conclut le contrat ; cela peut être un contrat de rétrocession, un contrat de réassurance ou encore un dérivé. Au passif, le FCT émet des titres de dettes auprès d’investisseurs – le plus souvent, des parts ou obligations cotées sur les marchés, mais aussi parfois des passifs de droit étranger comme des Variable Funding Notes. Les titres sont bien sûr souscrits par les investisseurs.


Le fonctionnement d’un FCT qui supporte des risques d’assurance est sensiblement le même que celui des autres FCT. Il doit cependant obtenir un agrément préalable.


Quatre règles principales sont à respecter pour structurer un FCT :

  1. Les pertes nettes maximales du FCT doivent être limitées pour éviter qu’elles ne dépassent la valeur des actifs ;
  2. Les risques qui sont transférés doivent l’être effectivement au sens juridique du terme ;
  3. Le FCT doit être financé intégralement dès l’origine ;
  4. Les engagements pris par le FCT vis-à-vis du cédant du risque doivent être prioritaires par rapport aux engagements concernant le remboursement des investisseurs.

Quels sont les grands avantages des FCT par rapport aux structures habituellement utilisées aux Bermudes ou dans d’autres juridictions comme l’Irlande ?


Patrice Doat : Le FCT présente un certain nombre d’avantages pour les investisseurs comme pour les cédants.


D’abord, il s’agit d’un régime légal qui existe depuis longtemps, et qui échappe largement à l’aléa contractuel. Des centaines de FCT, voire des milliers, ont été créés depuis l’origine et les banques les utilisent tous les jours. En ce sens, il offre un confort et une sécurité juridique importante pour les investisseurs.


Ensuite, il est agréé par l’ACPR, qui assure que la structuration et la mise en place du FCT ont bien été contrôlées et qu’elles respectent le cadre légal.


Le FCT étant un patrimoine d’affectation, il n’est pas soumis à la faillite. Les règles législatives et réglementaires sur les procédures collectives ne s’appliquent donc pas, ce qui offre, là encore, un grand confort juridique aux investisseurs et aux cédants. Cela permet également une certaine simplification par rapport à d’autres structures : les investisseurs ayant la garantie que le FCT ne peut pas être défaillant (en tout cas sur le plan de la faillite),

il est inutile d’octroyer de la sûreté au profit des investisseurs, puisque les actifs sont déjà protégés du fait même de la nature du FCT.


Quentin Perrot : La plupart de ces avantages cités par Patrice n’annulent pas toute concurrence. Par exemple, si l’on utilise un FCT en France, la cédante a automatiquement droit à la reconnaissance règlementaire du fait que l’ACPR a donné son approbation. C’est évidemment très positif, mais il est possible de faire la même structure en Irlande : la CBI, le régulateur irlandais, se rapprochera alors des autorités française pour que l’ACPR donne sa validation règlementaire, au titre de Solvabilité II, pour le traité de réassurance. Tout le monde ne va donc pas forcément être amené à utiliser des FCT aujourd’hui.


Ce qui est plus intéressant, notamment pour les Sides-Cars, c’est que le FCT a la possibilité d’utiliser des compartiments. Les Sides-Cars étant des structures annuelles renouvelables, l’utilisation d’un compartiment permet de faciliter leur renouvellement successif année après année. En Europe, aucune autre structure (sauf Malte), n’a cette flexibilité.

 


Les FCT présentent un autre avantage non négligeable : la réputation de la place sélectionnée. Certaines cédantes, particulièrement sensibles à leur image de marque, pourront préférer s’orienter vers la France plutôt que vers d’autres juridictions situées dans les iles.


Quels sont les principaux points de vigilance de l’ACPR dans le cas de l’obtention d’un agrément, pour un ILS de droit français ?

Olivier Desmettre : Lorsque l’autorité de contrôle est consultée par une autorité étrangère sur une opération faite par un cédant français – donc un organisme d’assurance ou de réassurance français – elle va s’intéresser aux motivations de l’opération et aux impacts que celle-ci peut avoir sur les résultats et la solvabilité du cédant. On regarde alors l’effectivité d’un transfert de risque et on cherche évidemment à vérifier que l’opération ne vise pas à faire un arbitrage entre normes, entre pays, ou entre normes bancaires et normes assurance.


Lorsque l’opération de titrisation est réalisée en France, on va s’attacher à vérifier que les exigences, qui sont européennes puisqu’elles sont fixées dans les règlements délégués, sont bien respectées. Ces exigences sont de 3 ordres qui font écho aux 3 piliers de Solvabilité 2 :

  1. Des exigences quantitatives, liées à la solvabilité. On va notamment examiner le financement en totalité du véhicule de titrisation, ainsi qu’un certain nombre d’éléments liés aux actifs dans lequel le véhicule de titrisation va investir.
  2. Des exigences liées au système de gouvernance dans lequel le véhicule de titrisation va fonctionner ;
  3. Des exigences liées au reporting et aux déclarations faites à la CPA.

Ces exigences sont européennes et sont donc appliquées de manière uniforme au sein de l’UE.


Le fait que l’agrément soit donné par l’ACPR n’est-il pas un élément de confort supplémentaire pour les investisseurs ?

Stephan Ruoff : Oui effectivement, le fait qu’une autorité de contrôle réputée appose son visa sur le fait de pouvoir émettre un ILS depuis Paris est un élément très positif. Même si, comme expliqué par Quentin, d’autres juridictions sont également admises en Solvabilité II ou sont équivalentes, un domicile bien segmenté ou régulé par un régulateur avec Solvabilité II aura toujours la préférence des investisseurs par rapport à une juridiction beaucoup moins connue, voire douteuse.


Est-ce important pour Scor dans le choix d’une juridiction ?

Benoit Liot : oui, il est évident qu’avoir un véhicule directement approuvé par l’ACPR est un avantage pour Scor, qui est régulé et contrôlé par l’ACPR. Le fait que l’autorité soit la même pour le véhicule et la cédante simplifie le process, permet un gain de temps important et aide à mieux comprendre le portefeuille et les motivations du cédant.

 

 

 

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