Le premier numéro d’ILS Show, proposé par CCR Re en continuité de la newsletter trimestrielle ILS NEWS a été l’occasion de démontrer les opportunités offertes par les ILS et le développement de la place de Paris.
Pour en parler, nous avons reçu un panel de spécialistes reconnus : Olivier Desmettre, chef de Brigade auprès de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, Benoit Liot, directeur de la Rétrocession chez Scor, Edouard Chapellier et Patrice Doat, partners chez Linklaters, Stephan Ruoff, Directeur ILS chez Schroders et Quentin Perrot, Senior Vice President chez Willis Securities.
Dans ce nouvel article consacré à l’ILS show, nous abordons plus précisément la question des enjeux fiscaux des ILS.
Quelles sont les particularités de la fiscalité qui s’applique aux FCT ? Ses avantages et inconvénients ?
Edouard Chapellier : En matière de fiscalité, le FCT est un véhicule très bien connu, bien cadré. Un certain nombre de positions exprimées par l’administration fiscale viennent éclairer la façon dont les choses doivent être traitées. A contrario, le FCT supportant des risques d’assurance était jusqu’à récemment dans un angle mort fiscal : la plupart des positions administratives concernant le FCT écartaient expressément le FCT supportant des risques d’assurance.
Donc, dans le cadre de la première mise en place de ce FCT supportant les risques d’assurance, il a fallu en premier lieu définir le régime fiscal de ce FTC. L’objectif étant de s’assurer qu’il n’y ait pas de frottement fiscal significatif qui viendrait obérer la performance financière pour les investisseurs. Par exemple, est-ce qu’il y a des frottements de TVA sur les flux ? Est-ce qu’il y a de la contribution économique territoriale ? Des droits d’enregistrement ? De la C3S ? etc.
Première question : l’impôt sur les sociétés. Aucun problème pour le FCT, qui n’y est pas assujetti. Le FCT est donc un véhicule complètement transparent, neutre pour les investisseurs, sans frottement fiscal au niveau de l’impôt sur le revenu qu’il peut dégager.
Autre question : la taxation des investisseurs. Là, le principe de base est un principe de transparence : il s’agit de mettre les investisseurs dans la même position que s’ils percevaient les revenus. Ce principe permet d’assurer à un investisseur qu’il ne va pas être taxé plus défavorablement s’il investit dans ce véhicule que s’il avait lui-même directement pris des risques d’assurance.
Un autre point important est celui de la TVA sur les flux. La législation fiscale française permet d’exonérer de TVA les flux. Il n’y a donc pas de TVA sur les flux facturés sur les revenus du FCT, ni sur les commissions de gestion qui sont facturées. Au sein de cet écosystème financier qui ne supporte pas bien la TVA, le fait d’avoir une neutralité fiscale en matière de TVA est un avantage significatif.
Concernant les droits d’enregistrements : l’achat, la cession et la création de parts ne sont pas soumis à un droit d’enregistrement (il reste un droit de partage à la toute fin, mais peu significatif). Pour tout ce qui concerne la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), nous avons pu également avoir confirmation que la législation fiscale n’atteignait pas le FCT.
Enfin, la contribution économique territoriale – ancienne taxe professionnelle – qui aurait pu éventuellement atteindre ce FCT, ne s’applique pas.
Finalement, ce travail de définition a permis de créer un véhicule qui soit le plus neutre possible d’un point de vue fiscal et qui fonctionne bien. Et c’est ce qui a été défini et validé avec la Direction de la gestion fiscale, pour ce premier FCT supportant des risques d’assurance. C’était une première étape indispensable pour rendre ce véhicule possible.
Comment choisit-on sa juridiction, lorsque l’on choisit d’émettre un ILS, quelle que soit sa forme (Cat Bond ou side-car) ? Que doit-on prendre en compte pour faire son choix ? La fiscalité est-elle un point important ?
Benoit Liot : Chez Scor, la fiscalité est effectivement un point majeur à prendre en compte, notamment pour l’accès aux investisseurs. Scor émet des Cat Bonds depuis de nombreuses années. Pendant longtemps les émissions ont été faites depuis l’Irlande ; deux émissions ont été faites en 2018 et 2019 depuis l’Angleterre, et en 2020 de nouveau depuis l’Irlande. Au moment de choisir le lieu d’émission d’un Cat Bond, plusieurs critères entrent en jeu :
- La compatibilité avec Solvabilité II. Cela peut paraitre évident, mais il faut bien sûr que la législation soit compatible avec Solvabilité II pour que Scor puisse en bénéficier ;
- L’efficacité et la rapidité de l’ensemble de l’écosystème qui va nous permettre d’émettre ce Cat Bond (le régulateur, tous les fournisseurs de services annexes, les banques, les avocats, et toutes les personnes qui vont nous aider à structurer le Cat Bond). Il est important d’avoir une diversité d’acteurs à un instant T lorsque l’on décide d’émettre ;
- La possibilité d’émettre plusieurs types de contrats. Le FCT le permet, que ce soit en dérivé ou en contrat de réassurance ;
- La possibilité ou pas de faire des « programmes ». Dès que l’on émet, il faut aller redemander l’approbation, même si on réémet un véhicule très similaire pour chaque compartiment.
- La compatibilité de la place d’émission avec les investisseurs, sachant que lorsqu’on émet un Cat Bond, on essaye d’aller toucher le maximum d’investisseurs pour obtenir le plus de supports sur notre émission. C’est pourquoi il est crucial d’être certain qu’en choisissant une juridiction, on ne se coupe pas d’aucun investisseur potentiel.
Il est essentiel, pour Scor, d’avoir une pluralité de choix à chaque instant de décision d’émission. Parce que nous savons qu’à un instant T, un régulateur peut avoir d’autres sujets à traiter et être moins réactif, ou que les fournisseurs de service peuvent être moins présents.
Quels conseils peut-on donner à un futur émetteur ?
Olivier Desmettre : Il est essentiel d’être préparé et d’anticiper au mieux ses opérations. Comme pour toute demande d’autorisation, nous suggérons de déposer un dossier à blanc. Cette démarche permet, avant un dépôt officiel, d’identifier en amont les points qui manqueraient de clarté ou qui seraient bloquants pour l’autorisation. La phase « officielle » est ensuite beaucoup plus rapide, puisqu’une analyse très poussée des choses a déjà été réalisée. Et précisions qu’il n’y a pas de coût d’enregistrement à l’ACPR lorsque l’on dépose un dossier à blanc ou un dossier officiel.
Il est toujours également très utile, dans le cadre des échanges réguliers entre les organismes et leurs services de contrôle, de pouvoir identifier assez rapidement quels sont les besoins de l’organisme, afin de pouvoir libérer des ressources et d’être en mesure de répondre à ces besoins dans les meilleurs délais.
Evidemment, il ne s’agit pas de multiplier inutilement les itérations : la clé pour ce genre d’opération, c’est la rapidité d’exécution. Donc les itérations sont nécessaires tant qu’elles apportent tous les éléments qui nous paraissent fondamentaux.
Dans le cas d’une opération répétée, qui présente de fortes similitudes par rapport à la première opération, il est évident que notre analyse est beaucoup plus rapide.
Quel rôle jouent les investisseurs dans le choix d’une juridiction ?
Stephan Ruoff : L’influence des investisseurs sur le choix de la juridiction est assez limitée. Pour la plupart des ILS, nous avons bien sûr une due diligence qui nous oblige à examiner le lieu d’inscription du SPV ou du véhicule de titrisation. Mais les émetteurs choisissent évidemment les juridictions en fonction de la possibilité, ou non, pour les investisseurs d’accepter l’ILS dans les fonds et leurs investissements.
Rappelons qu’il existe 2 grandes classes sur le marché ILS :
- Les transactions publiques, telles que Cat Bonds – des transactions qui ont ensuite un marché secondaire sur lequel les produits sont tradés ;
- Le marché privé – les investisseurs qui investissent restent dans cet investissement jusqu’à la fin ou l’expiration. Sont considérés comme privés les deals entre 20M et 75M$ ; au-delà, il s’agit souvent de deals publics 144-A.
La question de la juridiction est différente selon ces deux groupes.
Le fonctionnement du FCT est bien sûr français, mais l’actif peut être acquis en droit étranger : le FCT peut donc très bien souscrire un contrat de droit anglais par exemple pour se voir transférer les risques. Le passif, quant à lui, est très flexible : le FCT peut émettre des titres de dettes dans tous les droits possibles et imaginables. C’est pourquoi il y a eu des placements 144-A, notamment pour les gros CMBS qui étaient placés aux Etats-Unis, ou encore des émissions en droit australien.
Quentin Perrot : Il y a une dizaine d’années, les investisseurs ILS avaient probablement moins d’expérience et donc attendaient plus de la cédante qu’elle fasse l’effort de la transformation en titre financier. Aujourd’hui, la plupart des investisseurs qui ont atteint une certaine taille sont à même d’offrir des propositions de réassurance directement aux cédantes, et s’occupent ensuite eux-mêmes de la transformation. Donc les Cat Bonds privés ont tendance à disparaitre petit à petit. Le 144-A a par ailleurs l’avantage de baisser la spread par la création d’une compétition entre les différents investisseurs et la création d’un prix de marché.
Le développement de la place de Paris peut-il encourager de nouveaux investisseurs ?
Quentin Perrot : Oui et non. Non, parce que les investisseurs français peuvent déjà investir dans les ILS aujourd’hui. Les deux grands investisseurs ILS français – AXA IM et Scor Investment Partner – investissent déjà dans les ILS qui ne sont pas faits par des FCT. Mais il y a aujourd’hui une certaine méconnaissance en France du mode de fonctionnement des ILS et de la façon dont on peut investir dans ces ILS. En ce sens, promouvoir la place de Paris et les FCT, qui est un actif très familier des investisseurs français, est très important.
Cela étant, aujourd’hui, ce sont davantage les cédantes que les investisseurs qui ont un intérêt à tirer d’un régime FCT efficace : celui-ci leur permet en effet d’avoir accès au marché de capitaux de façon plus simple qu’en passant par l’Irlande et l’Angleterre, avec le Brexit et les incertitudes qui l’accompagnent.
Quelles sont les juridictions qu’utilisent les investisseurs et qui ne sont pas forcément compatibles avec un FCT ?
Edouard Chapellier : Dans le cadre du régime de transparence évoqué précédemment, l’investisseur va être taxé en France comme s’il percevait directement le sous-jacent. Or ces produits peuvent être soumis à une retenue à la source française. Pour éliminer cette retenue, une solution s’impose pour l’investisseur : être localisé dans des pays qui ont des conventions fiscales avec la France. La France est l’un des pays à avoir le plus de conventions fiscales au monde (environ 170), qui couvrent donc la quasi-totalité des pays sauf les pays offshore, au sein desquels l’efficacité du FCT sera diminuée. Concernant les investissements offshore eux-mêmes, l’utilisation de conventions fiscales peut faire partie de leurs modes de structuration : dans l’architecture de fonds d’investissement ou de véhicules d’investissement qui peuvent parfois avoir des composantes offshore, il peut y avoir aussi des filiales qui sont, elles, situées dans des pays avec conventions fiscales (Irlande, Angleterre, Luxembourg…).
Patrice Doat : On voit souvent des investisseurs, par exemple américains, passer par une structure au Luxembourg pour que cette structure investisse ensuite directement dans le FCT en France, avec un fonctionnement assez classique.
Comment flécher les investisseurs ILS, non pas vers des fonds situés dans des juridictions offshore, pas forcément compatibles avec le FCT, mais plutôt vers des juridictions européennes ?
Stephan Ruoff : Environ 50% des investissements ILS proviennent des Etats-Unis. D’autres marchés allouent énormément aux ILS : le UK, l’Europe (notamment les pays nordiques) et la Suisse. Ces investisseurs ont besoin de domicilier leur fonds de manière parfois une peu différente des investisseurs américains. D’autres investisseurs, enfin, proviennent de l’Australie, du Japon, de Corée et du Canada. Le paysage des investisseurs est donc assez large. Deux éléments vont les guider : la fiscalité et l’acceptabilité des véhicules de titrisation. Le FCT et la France profitent des conventions fiscales avec un certain nombre de pays, mais la France n’est pas le seul pays à bénéficier de cette acceptation mondiale.
Patrice Doat : Historiquement, le marché ne se situait pas en France. Des habitudes ont donc été prises en Irlande, au UK et aux Bermudes et il est parfois c’est plus simple d’aller là où les choses ont déjà été faites plusieurs fois. Il y a donc un travail d’éducation à mener. Et il suffit, comme l’a fait CCR RE, d’ « amorcer la pompe » pour permettre à d’autres cédants ou d’autres investisseurs de s’intéresser à un nouveau type de véhicule, qui offre a priori les mêmes garanties et même un plus grand confort juridique.
📺 Cet article vous a plu ? Ne manquez pas le prochain et recevez le replay de l'émission 📥