La première édition de notre émission Reinsurance Hot Topics, présenté par CCR Re, a pour objectif de réunir des experts reconnus dans notre domaine pour débattre des sujets et thèmes d'actualité qui ont un impact sur le secteur de la réassurance.
Pour cette première édition, nous avons décidé de parler du changement climatique, et des défis qu'il représente pour les réassureurs. En effet, le secteur de la réassurance doit se préparer à faire face à de nombreux défis liés au réchauffement climatique, notamment l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des catastrophes naturelles.
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Pour faire le point sur ce sujet, nous avons réuni un panel de spécialistes reconnus : Patrick Delalleau (Directeur du développement chez CCR Re), David MONCOULON (Climatologue chez CCR), Olivier CHOQUET (Juriste sinistre chez CCR Re) et Olivier Boniface (Président de "La compagnie des experts ").
Dans sa forme la plus simple, l'assurance consiste à gérer des risques financiers. Elle vise à estimer la probabilité d'un événement donné et les pertes financières qu'il pourrait entraîner. Le défi posé par le changement climatique d'origine humaine est simple. Il conduit à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des catastrophes naturelles partout dans le monde.
Cela signifie des demandes d'indemnisation plus importantes et plus fréquentes. Pour les réassureurs, qui contribuent à couvrir les risques si importants que même les grandes compagnies d'assurance ne peuvent les assumer seules, cela revient à s'adapter pour relever de nouveaux défis.
La réponse de bon sens est qu'il s'agit d'un événement naturel aux conséquences catastrophiques : tremblements de terre, tempêtes, ouragans et typhons, chutes de grêle, inondations, feux de forêt, éruptions volcaniques...
Tous ces événements peuvent potentiellement causer d'énormes dommages financiers.
Olivier Choquet : “Nous avons le cas de l'éruption volcanique de 2021 en Islande. Elle a donné lieu à de belles images, et à aucun dommage."
Il est important pour les assureurs, leurs clients et leurs réassureurs d'être précis sur ce qui est couvert et ce qui ne l'est pas dans une police d'assurance.
C'est là que la réponse de bon sens ne suffit plus et que des définitions juridiques sont nécessaires. Pour prendre l'exemple des tremblements de terre de 2010/11 qui ont frappé Christchurch en Nouvelle-Zélande, les bâtiments de la ville ont été fragilisés par un premier séisme de magnitude 7,1 en septembre 2010. Au cours des 15 mois suivants, plus de 2000 répliques ont continué à secouer la ville. Cinq d'entre-elles ont été des tremblements de terre majeurs, dont l'un a fait 185 morts. Ces tremblements de terre ont causé des dommages estimés entre 6 et 9 milliards de dollars.
Olivier Choquet : “Une grande difficulté pour les assureurs et réassureurs était de pouvoir attribuer les dommages à l'événement qui les avait générés. C'est très difficile, car on avait parfois le même risque qui était endommagé deux fois, par deux chocs différents."
En d'autres termes, si un bâtiment est fragilisé par un premier séisme, puis aplati par une réplique, s'agit-il d'un seul sinistre, ou de deux ? Et comment régler la question de l'ampleur des dommages causés par chaque séisme ?
Des questions similaires se posent pour d'autres risques. En 2020, d'importantes inondations ont été provoquées par un embâcle à Fort McMurray au Canada. Les dommages, causés sur d'une période de 168 heures, ont été jugés comme ayant été causés par le même événement unique.
Mais il restait à savoir si une entreprise possédant deux sites distants de 500 km, tous deux endommagés par la même inondation, présentait une ou deux demandes d'indemnisation. L'enjeu est la question de la franchise, et de savoir si l'assuré devra la payer une ou deux fois.
Olivier Choquet : "Ces catastrophes naturelles sont généralement listées dans les contrats de réassurance pour préciser l'étendue de la couverture, ou pour définir la survenance du sinistre."
La réponse dépend du libellé de chaque contrat, qui doit être lu attentivement par toutes les parties avant la signature, et relu attentivement par toutes les parties en cas de sinistre.
Le changement climatique est souvent relié à l'augmentation des températures moyennes dans le monde.
Cela cache le fait que le changement climatique est une instabilité climatique. Par exemple, en hiver, de forts vents d'ouest tournent autour du pôle nord, emprisonnant de l'air extrêmement froid dans le vortex polaire stratosphérique. Lorsque ces vents faiblissent ou s'inversent, l'air chaud monte dans la stratosphère et l'air extrêmement froid descend plus près du sol, où il est généralement maintenu en place par le courant-jet.
Mais avec un vortex polaire affaibli, le courant-jet a une trajectoire plus lâche, et l'air froid peut être transporté sur des centaines de kilomètres vers le sud. En 2021, cela s'est traduit par une tempête de neige exceptionnelle de cinq jours au Texas. Les infrastructures de l'État n'étaient tout simplement pas préparées à ce défi, qui a provoqué des coupures d'eau et d'électricité pendant plusieurs jours et des dégâts estimés à 200 milliards de dollars. C'était la catastrophe la plus coûteuse de l'histoire du Texas, éclipsant complètement les 125 milliards de dollars de dommages causés par l'ouragan Harvey en 2017.
Comme le montre cet exemple, les catastrophes naturelles sont intrinsèquement chaotiques. Les causes et les effets peuvent être éloignés de milliers de kilomètres.
Les assureurs doivent avant tout être en mesure d'estimer les risques qu'ils assurent. Le premier défi à relever pour faire face aux effets du changement climatique sur le secteur de l'assurance consiste donc simplement à comprendre quels pourraient être ces effets.
David Moncoulon est le responsable de la modélisation R&D Cat & Agriculture chez CCR. Il a travaillé avec Météo France, le service météorologique national français, pour explorer cette question...
Ensemble, ils ont créé un modèle détaillé projetant les pertes sur le territoire français d'ici à 2050. Le modèle a examiné deux scénarios possibles. Le RCP2.6 [1] "optimiste" et le RCP8.5 [2] "pessimiste". Dans les deux cas, la France métropolitaine verra diverses catastrophes naturelles devenir plus fréquentes au cours des 30 prochaines années. Les ondes de tempête augmenteront en fréquence et en taille le long du littoral atlantique. Les types de sécheresse que connaît actuellement le sud de l'Europe s'étendront vers le nord et toucheront l'ensemble du pays. Les inondations dues à des averses soudaines seront plus fréquentes. Et les territoires français d'outre-mer souffriront d'une augmentation du nombre et de la force des ouragans dans les Caraïbes. Globalement, selon David Moncoulon, ces phénomènes entraîneront une augmentation du rapport sinistres/primes de 50 % d'ici 2050.
Ces chiffres français reflètent une augmentation mondiale du risque de catastrophes naturelles due au changement climatique.
Une étude réalisée pour le New York Times a montré une augmentation des risques en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud, de sécheresses en Afrique du Nord, en Europe et au Moyen-Orient, d'inondations en Asie du Sud-Est et en Europe, d'ouragans en Asie de l'Est et dans les Caraïbes, et de feux de forêt en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique australe et en Australie.
L'étude de David Moncoulon projette les effets du changement climatique jusqu'en 2050. Mais les effets se font déjà sentir sur le terrain dès aujourd'hui.
“Cette succession rapide de deux ouragans de catégorie 5 est sans précédent", déclare Olivier Boniface. Comme pour les tremblements de terre de Christchurch, les experts en sinistres et les souscripteurs ont dû déterminer le montant des dommages subis par un bâtiment donné qui pouvait être attribué à l'un, à l'autre ou aux deux ouragans.
Les réassureurs ont un rôle clé à jouer pour aider le monde à faire face aux conséquences des catastrophes naturelles. Les compagnies d'assurance, aussi grandes soient-elles, ont des ressources limitées par rapport aux risques qu'elles assument pour leurs clients. La réassurance permet de couvrir les risques de pointe - catastrophes naturelles, accidents d'avion, lancements de satellites...
Patrick Delalleau : "C'est une question difficile car nous prenons les risques de pointe, en termes de catastrophes naturelles, mais aussi en termes de risques industriels. Et pour pouvoir le faire, nous devons travailler à l'échelle mondiale, c'est-à-dire répartir nos risques en termes de géographie, et en termes d'activité."
Aucune partie du monde n'est épargnée par l'impact du changement climatique, ou la menace d'une catastrophe naturelle. Mais les impacts, humains et financiers, peuvent être très différents d'un endroit à l'autre. Un tremblement de terre, même majeur, qui frappe une région pratiquement inhabitée ne causera pas beaucoup de dommages aux personnes ou aux infrastructures. Les pays ont des approches très différentes en matière de couverture d'assurance, en fonction de leur richesse, de leur réglementation et de leur culture.
Patrick Dellaleau :"En France, nous avons une assurance habitation obligatoire. En Italie, vous n'avez que 2% des gens qui assurent leur maison."
Par conséquent, les assureurs et les réassureurs ont une exposition très différente aux catastrophes naturelles dans le monde. Pour donner un exemple extrême, le tsunami de 2004 dans l'océan Indien a semé la mort et la destruction surtout en Indonésie, où plus de 100 000 personnes sont mortes. Mais comme l'Indonésie avait une très faible couverture d'assurance, il y a eu peu de demandes d'indemnisation. Le coût de la réparation des dommages a été principalement supporté par l'État et les organismes d'aide internationale.
Le défi pour les réassureurs est d'équilibrer leurs engagements, à travers le monde, et les risques qu'ils couvrent.
Olivier Boniface : "Les aperçus et la modélisation sont très importants, mais pour un expert en sinistres, rien ne vaut les yeux sur le terrain."
Mais les jours où il ne peut pas se rendre sur un site, la vidéo à distance - même quelque chose d'aussi simple qu'un appel vidéo - peut lui permettre de commencer à travailler. Même au sol, un petit drone peut donner une vue aérienne utile, ou être piloté dans des zones où il serait trop dangereux d'envoyer une personne. Pour reprendre l'expression d'Olivier Boniface, un expert en sinistres travaillant avec ces nouveaux outils est l'expert augmenté de demain.
L'intelligence artificielle (IA) a également un rôle à jouer, cette fois pour aider les conseillers en sinistres. Passer au peigne fin un contrat pour déterminer l'étendue des sinistres individuels, les limites d'événements qui s'appliquent et les franchises qui doivent être couvertes par les clients prend du temps. L'IA peut aider à analyser les contrats et à donner des réponses plus rapides à ces questions. Même quelque chose d'aussi simple qu'un "compteur en ligne" peut faciliter la collecte des documents relatifs à un sinistre. Ce qui, à son tour, permettra aux victimes de catastrophes naturelles de bénéficier d'une gestion des sinistres plus réactive.
Les modèles de changement climatique montrent que, même dans le scénario le plus optimiste, les catastrophes naturelles vont augmenter en fréquence et en intensité au cours des prochaines décennies. Ils sont également extrêmement utiles pour la prévention des dommages. Pour leur étude, David Moncoulon et Météo France ont travaillé sur un modèle qui prédit l'impact du changement climatique en France sur les années à venir.
Cela signifie qu'ils ont pu localiser, par exemple, des maisons qui se trouvent aujourd'hui dans des zones sûres, mais qui pourraient être menacées par des déferlements côtiers dans 20 ans.
Les assureurs (et les réassureurs) peuvent évidemment utiliser ces informations pour adapter la couverture qu'ils offrent à ces propriétaires.
Mieux encore, si ces informations sont partagées avec les autorités locales, des mesures de protection pourraient être mises en place, et les maisons pourraient être protégées.
En d'autres termes, pour les réassureurs, le changement climatique est à la fois un défi et une opportunité d'améliorer la façon dont ils travaillent en soutenant à la fois les assureurs et les victimes de catastrophes naturelles.
[1] Realistic Concentration Pathway 2.6. La voie de contrôle du climat la plus stricte. Elle suppose une diminution des émissions de CO2 d'ici 2020, pour atteindre des émissions nulles d'ici 2100. Cela entraînerait une hausse des températures mondiales comprise entre 0,4 et 1,6 °C et une élévation du niveau de la mer comprise entre 17 et 32 cm, toutes deux d'ici 2050.
[2] Realistic Concentration Pathway 8.5. Souvent appelé le scénario "business as usual". Il suppose le maintien d'un niveau élevé d'émissions de gaz à effet de serre. Cela entraînerait une augmentation des températures mondiales comprise entre 1,4 et 2,6 °C et une élévation du niveau de la mer comprise entre 22 et 38 cm, toutes deux d'ici 2050.
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